Absent bodies

À La mort de ma grand-mère maternelle, j’ai ressenti le besoin vital de faire des recherches généalogiques. Mon attention s’est naturellement portée sur les membres de ma famille dont je ne savais que très peu de choses, et plus particulièrement sur mon grand-père maternel que je n’ai pas connu.

Je me suis rendue dans les lieux où mes ancêtres ont habité, dans les cimetières où ils sont enterrés, et j’ai suivi les routes qu’ils ont probablement empruntées à la recherche d’indices. J’ai photographié le territoire comme je photographierais des questions. Que reste-t-il d’eux? Le territoire fait partie intégrante de ce qui nous constitue, mais ne porte-t-il pas en lui-même les empreintes de nos vies? Quelle place laisser à mon passé, à ma famille, à mes ancêtres ? que m’ont-ils transmis? Parcourir cette région à la recherche de traces de leurs existences m’a permis d’y projeter tout ce que j’imagine d’eux. Ces photographies interrogent la limite entre leur histoire vécue qui m’est inaccessible, et l’histoire imaginée, mélange entre les souvenirs, les anecdotes de mes proches, et mes propres fantasmes.

Cette nécessité de regarder vers le passé vient d’un sentiment de manque. L’absence est à la fois l’objet de ces images et leur déclencheur. L’histoire de mon grand-père maternel m’a toujours déconcertée. Orphelin de mère et abandonné par son père chez une grand-mère adoptive maltraitante, il se serait enfui à pied de chez elle, à trois ans, à la recherche d’une autre famille : un couple qui recueillait des enfants près de chez lui. En remontant l’histoire de sa famille, j’en ai découvert l’origine: un enfant abandonné à l’hospice de Domfront en 1848, sans nom, sans famille. Mon arrière arrière arrière grand-père, il sera nommé Marie-Victor Henry. Il est impossible de remonter plus loin. La branche est coupée, abîmée sur toute la lignée : s’en suivent des décès prématurés, des enfants élevés par d’autres, comme une impossibilité à transmettre d’une génération à l’autre… Ces histoires se répètent, résonnent entre elles… Jusqu’à mon grand-père qui, par sa décision, semble avoir rompu ce cercle vicieux.

Avec cette série photographique, j’explore et j’interroge, à travers des territoires intimes, la relation intense et ambivalente qui me lie à ma famille. Derrière cette recherche généalogique, se dessinent les questionnements fondamentaux qui nous traversent tous : le sens de la vie et de la mort.

Absent bodies

"And yet they, who passed away long ago, still exist in us, as predisposition, as burden upon our fate, as murmuring blood, and as gesture that rises up from the depths of time" Letters to a young poet, Rainer Maria Rilke.

When my maternal grandmother died, I felt a fundamental need to look into my family’s genealogy. I naturally leaned towards the members of my family that I know little about, and in particular my maternal grandfather, who I never knew. I decided to photograph my search; to make it more real, to help make it mine.

I visited the places that my ancestors lived in, the cemeteries where they are buried, and followed the roads they probably travelled1 along, looking for clues. I photographed this land as I would have photographed my questions. What is left of them? The land is a fundamental part of what we are made of, but doesn’t it too hold a trace of our lives there? What space should I give to my past, my family and my ancestors? What have they handed down to me? Travelling through this area looking for traces of their existence allowed me to project onto it everything I imagined them to be. These photos question the thin line between their real story, inaccessible to me and their imagined story, a mix of memories, anecdotes told by my family and my own fantasy.

This need to look back at my past comes from a feeling that something is missing. Absence is both the subject of these images and what brought them about. I have always found my maternal grandfather’s story disconcerting. Motherless and left by his father with an adoptive grandmother who maltreated him, he is said to have run away at the age of 3 in search of another family : a nearby couple who took children in. By tracing his family’s history back, I found the very beginning : a baby abandoned in Domfront hospice in France in 1848, no name, no family. My great, great, great grandfather would be given the name Marie-Victor Henry. It’s impossible to go further back. The branch is broken, damaged along its entirety : premature deaths follow, children brought up by others, as if transmission between generations was impossible… These stories repeat themselves, echoing around…. Until my grandfather who, in taking his decision, seems to have broken this vicious circle.

I have used this photographic series to explore and question, through intimate territories, the intense and ambivalent relationship that links me to my family. Behind this search for my family tree, fundamental questions that concern us all have been sketched out : the meaning of life and death.